CALL FOR PAPERS

REVUE «ARTS ET SAVOIRS» https://journals.openedition.org/aes/

Dead-Line remise des textes (français, anglais, allemand): 28 février 2022; délai de communication du résultat de la sélection: mars 2022; publication: novembre 2022.

SUJET : Les mises en scène de la philosophie. Le modèle des Lumières, jusqu’à nos jours

Numéro spécial. Sous la direction de Marco MENIN et Paolo QUINTILI

Les liens de la philosophie avec le théâtre sont anciens et profonds. Ils remontent à l’origine même de la première forme de lògos occidental, dans la Grèce ancienne: le dià-logos platonicien. Le mot grec θέατρον [τό] a une racine très claire, du verbe θεάομαι, «regarder», «admirer», «observer», en un mot : «contempler», ce qui le rapproche de la philosophie en tant que «théorie» du monde. Θέατρον est le lieu de l’admiration – d’où le nom θέα (vision, vue, contemplation) et, plus important encore, le θεωρέω-in, «se mettre à regarder», encore une fois, «contempler», mais cette fois avec l’esprit, sans utiliser les yeux. D’où le terme θεωρία [ἡ], mot-clé de la philosophie: contemplation (de l’esprit), considération, méditation, étude, réflexion sur les choses de la vie. Le théâtre et la théorie (philosophique) ont donc une racine linguistique commune, racine qui est, en premier lieu, anthropologique.

En fait, de tous les arts, l’art dramatique est celui qui est le plus mêlé à la trame, voire à l’intrigue de la vie. C’est de la vie en action, placée sous les yeux de l’homme qui contemple et saisit ainsi le sens de cette action, de sa souffrance, de son plaisir et de son être. Jetez un œil autour de vous, pour voir le théâtre surgir spontanément et s’épanouir, pour ainsi dire, dans un état généralisé. Jouer la comédie, c’est-à-dire prendre des positions corporelles et vocales envers notre prochain, c’est un exercice naturel non seulement humain, mais aussi de tous les êtres vivants, dont aucun animal n’est exempt. Cela s’appelle le mimétisme, chez les animaux et les plantes. C’est le jeu, le jeu et la posture, chez l’animal lui-même et chez l’homme. Ces attitudes sont déjà du théâtre, c’est-à-dire un spectacle vivant et doué de significations multiples, qui enrichissent de sens cette vie en action, en la dédoublant, pour ainsi dire. L’homme imite les gestes de la nature (et de lui-même) pour se voir et se comprendre.

Platon garde le souvenir, même au sein de la philosophie, de ce chemin anthropologique qui donne corps à la beauté scénique, assimilant dans le dialeghestai les deux chemins parallèles, du dédoublement de la vie et de l’action, qui donnent alors naissance à la beauté et à la vérité philosophiques de la représentation, dans le dialogue. Le premier type de travail philosophique pleinement achevé que la culture occidentale ait produit est, en fait, cette sorte de pièce de théâtre qu’est le dialogue platonicien. La mise en scène des discours (λόγοι) échangés entre des personnages concrets, dont chacun incarne une idée, un type idéal qui agit sur la scène de la polis. Agissant, dans le dialogue, le personnage principal, généralement le philosophe (Socrate), met en crise les idées reçues, les préjugés, les clichés, au nom d’une vérité profonde (ἀλήθεια) et d’une science (ἐπιστήμη) ou de la sagesse (σοφία) qui dépassent l’opinion actuelle (δόξα). Platon, dans la République, condamne les artistes de son temps, car ils ont fait des «imitations d’imitations». Les choses matérielles sont des imitations d’idées éternelles, et la mimésis des artistes est une sorte de double copie de la réalité (Rep., 597a-598d et suivants). Cependant, Platon lui-même adoptera la procédure théâtrale de la mise en scène pour transmettre le message de la beauté supérieure de la vérité philosophique, par opposition à la banalité de la doxa.

La critique des préjugés liés à la doxa c’est un dispositif théorique essentiel, ancien et typique de la forme théâtrale originaire de la philosophie, qui retrouve son essor renouvelée, au plus haut degré en époque moderne, avec les Lumières. Mais l’on pourrait dire que c’est la pensée moderne en général, depuis Giordano Bruno (Chandelier, 1581) et Descartes, jusqu’à Diderot, que le moi pensant (ego cogito) théâtral se met en scène, comme un moi critique, instrument décisif de la philosophie des Lumières, d’où l’omniprésence du théâtre qui est pour cela l’une de ses marques distinctives.

Comme l’observe Léon Fontaine dans une étude pionnière sur le théâtre et la philosophie au XVIIIe siècle, «jamais le goût du théâtre n’a pas été plus vif ni plus répandu; c’était une passion, presque une fureur» (Fontaine, 1879, p. 7). Tous les philosophes se consacrent, d’une manière ou d’une autre, au théâtre. Voltaire, qui considérait ses histoires comme de simples divertissements, était convaincu qu’il aurait conquis l’immortalité grâce à sa production dramatique; Diderot révolutionne le drame bourgeois et enquête sur le métier d’acteur avec une profondeur sans précédent. Même Rousseau, adversaire des sciences et des arts, écrit pour le théâtre et voit une de ses œuvres représentée devant la royauté.

Voici esquissée notre problématique. Les mises en scène de la philosophie, à l’époque moderne, prennent leur départ avec les Lumières. Pourquoi la philosophie doit-elle ainsi nécessairement être mise en scène dans cette période? Répondre à la question peut faire ressortir la pertinence intemporelle du «modèle» des Lumières. La réflexion des philosophes sur le théâtre a, en effet, introduit des thèmes, des formes d’expression, des modes de pensée et d’évaluation qui, bien que nés dans un contexte spécifique, ont été appliqués aux problèmes du débat philosophique moderne et contemporain avec la même congruence et la même efficacité.

Quelques pistes de recherche:

Théâtre et passions. La scène comme une nouvelle manière d’enquêter sur la dimension passionnelle, qui ne peut être simplement décrite comme dans les «traités des passions» de l’Age classique, mais doit être montrée «agissante» sous les yeux du spectateur.

Théâtre et droits de l’homme. Le théâtre comme lieu de «construction» d’un langage moderne des droits de l’homme, grâce à sa capacité à représenter et à établir une relation sympathique avec le «différent» (noir, femme, esclave, etc.).

La figure du philosophe représentée au théâtre. Les multiples perspectives de l’incarnation du philosophe sur la scène, de Palissot à Sartre.

Philosophie et les différents genres théâtraux. L’évolution de la fonction théâtrale du «personnage», le comédien et son «paradoxe» (Diderot), qui trouve une débouchée philosophique dans la méthode réaliste de Stanislavskij, dans le théâtre «didactique» de Brecht, jusqu’à Peter Brook.

Tournage / réécriture moderne d’œuvres théâtrales du XVIIIe siècle. Les sujets philosophiques au cœur de tant de pièces des philosophes, de Giordano Bruno à Voltaire, passant par Rousseau, jusqu’à Diderot et Beaumarchais, rejoués dans le cinéma et le théâtre contemporain.

Les propositions doivent être envoyées à: