L’intelligence artificielle (I.A) fait aujourd’hui partie du quotidien par l’omniprésence des ordinateurs, des algorithmes et de la donnée.
Or, on sent bien qu’on est très vite passé du monde de Gutenberg à celui de Zuckenberg avec l’usage immodéré des applications nomades jusqu’aux comportements désinhibés sur certains réseaux @sociaux.
A cela s’ajoutent le souffle puissant de la dématérialisation que l’I.A amplifie en « se diffusant partout comme l’électricité » [ref] Cédric Villani, mathématicien et député.[/ref] et l’attitude individualiste de l’administré qui revendique une gestion toujours plus personnalisée et réactive, à l’exemple de sa consommation numérique dans sa vie privée.
C’est en quelque sorte un mouvement inéluctable d’« Amazon-isation » de la gestion des ressources humaines (GRH) : « où en est ma commande de produit sur la plateforme Amazon ? » VS « où en est ma demande de mutation dans le SIRH [ref] Système d’information des ressources humaines (Interface entre la gestion des ressources humaines et les technologies de l’information et de la communication).[/ref] Agorh@ ? »
Dès lors, en se déployant progressivement dans les processus de GRH, l’I.A annonce tout d’abord un changement profond du modèle de gouvernance et invite ensuite à faire monter en compétences un nouveau gestionnaire : le DRH-Machine [ref] Pierre Blanc, Président fondateur du cabinet Athling.[/ref].
Autrement dit, c’est l’évolution inévitable de la gestion bureaucratique du monde de Max Weber [ref] Sociologue allemand dont les travaux ont porté sur les changements opérés sur la société avec l’entrée dans la modernité (1864 – 1920).[/ref] vers une GRH/D, c’est à dire par des spécialistes capables de gérer en temps réel, à la fois la combinaison de la Ressource Humaine et de la Donnée, tout en sachant superviser l’algorithme dans la machine.
Dans ce contexte, il convient donc de s’interroger sur les raisons qui poussent à intégrer l’I.A dans la GRH de la gendarmerie (1) et de poser des lignes rouges (2) avant de donner quelques exemples concrets de solutions développées dans le cadre du projet de transformation Gend 20.24 (3).
1. Pourquoi intégrer l’intelligence artificielle dans la gestion des militaires de la gendarmerie nationale ?
La ressource humaine a changé en même temps que le contexte avec l’intrusion de l’informatique partout. C’est principalement l’arrivée de la génération numérique qui fait évoluer les attentes avec des aspirations propres.
C’est aussi de nouveaux leviers et outils qu’il faut donner au gestionnaire, ainsi qu’à l’administration, pour remplir ses objectifs de responsabilité sociétale ou sociale d’entreprise [ref]Indicateurs de la DGAFP : recrutement, avancement, formation, mobilité, encadrement supérieur-cadres dirigeants, condition de travail, égalité professionnelle, handicap, politique familiale et sociale et dialogue social [/ref] (RSE).
C’est pourquoi, l’effet majeur recherché par la nouvelle GRH augmentée par l’I.A, c’est d’obtenir grâce à elle des gains de performance et de se départir de tâches matérielles sans plus-value ou trop complexes et inutiles.
Autrement dit, les nouveaux outils numériques et produits connectés dits intelligents qui se multiplieront avec l’arrivée de la 5G, doivent permettre d’augmenter doublement la GRH et le DRH afin de mieux recruter, mieux muter, mieux former, mieux accompagner, mieux reconvertir, etc.
Enfin, on attend de l’I.A qu’elle améliore l’interaction entre le gérant et le géré pour faire mieux, avec empathie chaque fois que possible, dans tout le spectre de la GRH jusqu’à la « gestion du dernier kilomètre [ref] Général de corps d’armée Bruno Jockers, major général de la gendarmerie nationale[/ref]. »
2. Quelles lignes rouges face aux dangers de l’I.A dans la GRH ?
En premier lieu, on recherche une dématérialisation éco-responsable diminuant notre empreinte numérique et ne menant pas à la déshumanisation de la relation gérant/géré.
On souhaite ainsi que la désintermédiation induite par l’I.A ne remette pas en cause les fondamentaux de la hiérarchie militaire.
Ce sont là les deux principaux pièges qu’il faut déjouer : nouvelle proximité et coopération numériques et non pas éloignement humain.
C’est pourquoi, plus la donnée est présente, plus l’humain qui la gère ou la subit doit être formé et omniprésent pour superviser activement et garder le contrôle total du SIRH.
Il s’agit également de s’assurer du raffinage éthique de la donnée R.H, en respectant les libertés individuelles, le droit à la déconnexion et la protection des données [ref]Règlement européen no 2016/679, dit règlement général sur la protection des données (RGPD) [/ref].
En second lieu, on sait qu’avec l’I.A on pénètre aussi dans une zone grise dans laquelle certains acteurs économiques ou de conseil surjouent les solutions magiques pour séduire et embarquer les décideurs profanes dans l’emballement général d’une vieille idée qui date pourtant des années 50 [ref] John McCarthy (1927 – 2011), principal pionnier de l’I.A avec Marvin Lee Minsky (1927 – 2016) [/ref] .
En troisième lieu, il faut maîtriser à la fois les biais cognitifs de celles et ceux qui structurent « en entrée » les données saisies dans le SIRH et l’enfermement mécanique des modèles proposés « en sortie » par l’effet tunnel des algorithmes.
En dernier lieu, le réel doit toujours l’emporter, car dans l’I.A, il y a tout sauf de l’intelligence. Nous sommes bien là en présence d’un puissant artifice qui n’est finalement, sans jamais sombrer dans la dystopie, que de l’Informatique Améliorée.
C’est d’ailleurs l’essence même de l’I.A que de tromper son monde, car il est admis dès l’origine qu’on atteint l’I.A quand on ne sait plus faire la différence entre l’homme et la machine [ref]Le test d’Alan Mathison Turing (1912 – 1954) [/ref] .
3. Le projet Gend 20.24 et sa déclinaison #TransforM@GRH
Sous l’impulsion du général d’armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale, un projet de transformation Gend 20.24 a été lancé le 19 décembre 2019.
Celui-ci est décliné pour sa partie R.H sous la responsabilité du général de corps d’armée Armando De Oliveira, directeur des personnels militaires de la gendarmerie nationale (DPMGN), à travers 16 projets participant du programme #TransforM@GRH qui seront conduits progressivement d’ici 2024 avec l’ambition de préparer la richesse humaine aux enjeux de l’avenir.
Dans ce cadre, l’introduction de l’I.A dans la G.RH de la gendarmerie s’appuie sur quatre grandes valeurs socles : la proximité, la simplicité, l’équité et la solidarité.
Voici quelques illustrations de solutions I.A développées, parmi d’autres, par la DPMGN avec le Datalab de la gendarmerie nationale et ses partenaires extérieurs :
– un simulateur de parcours de carrière Waze-RH dont la première brique d’aide à la mobilité du militaire Via PO a été livrée début 2020 pour les temps de commandement de deuxième niveau ;
– du traitement du langage en cours de développement avec l’outil Op@m pour l’optimisation du plan annuel de mutation par le gestionnaire en prenant mieux en compte les souhaits exprimés lors des entretiens de gestion ou de notation par rapport aux postes à pourvoir ;
– un agent conversationnel (chatbot) adossé à du machine learning, depuis l’été 2019 pour les officiers, qui est appelé à être élargi progressivement à tous les sous-officiers ;
– du sourcing de recrutement sur les réseaux sociaux et la création d’un compte candidat unique;
– un projet agorh@compétences intégrant dans le SIRH toute l’ingénierie de gestion des compétences individuelles et de l’opérateur de recrutement/formation.
En conclusion, la finalité de l’introduction de l’I.A dans la GRH de la gendarmerie, c’est bien de tenir notre engagement de sécurité en mettant au plus près des citoyens des militaires compétents, motivés et efficaces. Avec la crise sanitaire actuelle, elle participe aussi de l’opération #RépondrePrésent décidée par le directeur général de la gendarmerie nationale en répondant sous l’angle RH à l’exigence d’une gendarmerie exemplaire et moderne qui incarne les valeurs du service public « au contact ».